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mercredi 22 novembre 2023

TRES AU DELA DERRIERE cet interdit magique, s’étendaient les espaces inconnus du Farghestan. Julien Gracq.

 Je n'ai pas l'habitude de parler des livres. Non pas que je lis peu, ni beaucoup d'ailleurs, à peine 5 à 6 livres par mois, mais je trouve qu'il y a tant de blogs littéraires sur la toile qu'il est difficile en fait d'y faire son "marché". Certains sont intéressants et à ma portée (je suis loin d'être un littéraire) certes, d'autres soit ils vous divulgâchent l'histoire soit ils se prennent pour des critiques compétents et j'ai horreur des gens qui se prennent au sérieux. 
J'évite tout. En bloc. 
Je lis d'autres plus objectifs avec plaisir mais ils sont rares. Du coup je ne me fie qu'à deux sites: babelio.com et lecteurs.com.

Tout ça pour vous dire que je n'ai pas l'habitude de parler des livres mais je vais vous parler d'un qui m'a charmé par la poésie qu'il dégage et conquis par son, bien qu'attendu, subtil aboutissement. L'écriture est savamment travaillée. Ajouter une narration d'une attente, une même lenteur qui m'habite et me caractérise (oui, je suis un engourdi, mais qui en savoure la substance), tout avance doucement dans le flou, l'atone, les paysages sont magnifiquement décrits même quand on ne les voit pas, on les devine, brumeux, occultés par la densité des pluies.

C'est en lisant tout ce qui concerne Sylvain Tesson que j'affectionne particulièrement, que le nom de Julien Gracq s'est glissé dans un entretien. J'ai donc téléchargé l'ebook de "Le rivage des syrtes". Là, que ceux qui l'ont lu à 15 ans me pardonnent: ayant fait un cursus plutôt scientifique,  je le découvre moi qu'à 65... ne riez pas !

Le rivage des syrtes est devenu un point d'ancrage dans ma PDL : Pile Déjà Lue, moi aussi j'ai mon acronyme, comme d'autres ont leur PAL, Pile A Lire.

Pour ceux qui ne connaissent pas l'histoire... je ne dirais rien ou presque. Imaginez un jeune gars dans un pays imaginaire (une principauté), imaginaire mais pas trop quand même car le nom, Orsenna,  rappelle les confins de l'Italie ou d'un pays fortement imprégné de la culture vénitienne, comme la Slovénie ou la Croatie, etc. bref dans ces beaux coins-là.

Imaginez donc ce jeune gars nommé Aldo, fils d'aristocrate, plutôt dysphorique mais volontaire, vivant agréablement dans Orsenna mais commençant à s'ennuyer car tout est calme, trop calme, - Atmosphère d'attente - rien ne se passe jamais et  déçu par un chagrin d'amour, décide de partir. "ma vie m’apparut irréparablement creuse, le terrain même sur lequel j’avais si négligemment bâti s’effondrait sous mes pieds". Comme quoi il faut quelquefois un petit coup de pied au cul pour se bouger !

Décidé, il se fait envoyer comme Observateur au service de la Principauté au fin fond de la province des Syrtes, au bord de la mer et face à l'ennemi : le Farghestan. Pays également imaginaire mais on y retrouve bien la sonorité orientale, ajoutez à cela qu'en Lybie on trouve la ville de Syrte, on peut donc situer même sans grande précision la géographie de l'histoire. Et en cela la sempiternelle atmosphère belliqueuse qu'il en émane ? Le voyage est décrit longuement, comme pour en éprouver la durée et la lenteur du transport "Sous ce jour fuligineux, dans cette moiteur ensommeillée et cette pluie tiède, la voiture roulait plus précautionneusement, jetant sur ce douteux voyage comme une nuance fugitive d’intrusion. Ce feutrage languissant de fin de cauchemar reculait dans les âges, sous cette haleine chaude et mouillée retrouvait les lignes sommaires, le flou indéterminé et le secret d’une prairie des premiers âges, aux hautes herbes d’embuscade."  C'est une partie qui m'a beaucoup plu, la description d'un paysage atone ou bien de sa non-description "Aussi loin que l’œil portât à travers la brume liquide, on n’apercevait ni un arbre ni une maison."

Bref. Aldo part pour une Amirauté sur la côte pour observer l'ennemi... qui ne s'est pas manifesté en fait depuis 300 ans:  De la vie monotone d'Orsenna, Aldo glisse vers l'ennui du rivage des Syrtes mais aussi vers une inquiétude, une attente, le rivage des Syrtes où un accord tacite, en fait un essoufflement, défend les belligérants à ne pas s'approcher l'un de l'autre "Mais, dans cet engourdissement général, l’envie de terminer légalement le conflit manqua en même temps que celle de le prolonger par les armes"

Le lieu est désolé, "Une atmosphère de délaissement presque accablante se glissait dans ces couloirs vides où le salpêtre mettait de longues coulures. Nous demeurions silencieux, comme roulés dans le rêve de chagrin de ce colosse perclus, de cette ruine habitée, sur laquelle ce nom, aujourd’hui dérisoire, d’Amirauté mettait comme l’ironie d’un héritage de songe. Ce silence engourdissant finit par nous immobiliser en face d’une embrasure..." Bien qu'au début Aldo se complait dans cette forteresse en ruine, cette langueur monotone décourage le jeune homme qui occupe alors son temps en lisant les documents de navigation, rêvant de découvrir le Farghestan ou en allant se promener près des ruines de Sagra. C'est là qu'il aperçoit un bateau inconnu en mer, ajoutez à cela l'invitation dans le palais d'une ville voisine de la belle et perfide Vanessa  (cette rencontre est magnifiquement racontée) qui a comme lui des velléités de conquête, d'actions !: Il en faut pas plus au jeune homme pour s'enflammer ! 

Tout est dans le non-dit, le "à peine murmuré", derrière les rumeurs floues, l'imagination collective y voit des faits là où il n'y a que "fake news"; il y a manipulation...

Je n'irai pas plus loin, tournez les pages vous-même. Ou pas.

 A + ! 
 
Sinon, pour une analyse simple, je vous recommande au cas ou  :

A lire : Roman et Histoire, « Le Rivage des Syrtes » : le mythe de l’ambiguïté de l’homme du XXèmesiècle entre l’individualisme réfractaire et le suicide collectif (openedition.org) 

  Mais attention vous allez connaître la fin !


 

9 commentaires:

  1. Il a l'air d'ètre plutot captivant et intéressant, ce livre dont tu nous parles...
    Je ne sais pas si et combien je suis, comme on dit, à coté de la plaque, mais ce que tu en racontes m'a fait penser à un livre italien dont, si tu ne le connais pas, tu peux bien te renseigner (je viens de controler ;-)) sur babelio.com. Il s'agit de "Il deserto dei Tartari" ("Le désert des Tartares") de Dino Buzzati.
    Et pour rester dans les rélations franco-italiennes, avec tes "5 à 6 livres par mois" tu te placerais chez nous parmi le rares et admirables lecteurs très forts. Car, à partir du rapport 2023 de l'Istat (Istituto Nazionale di Statistica):
    "spicca la scarsa attitudine alla lettura degli italiani: considerando l’intera popolazione con più di sei anni, il 60,7% di essa non ha letto un libro nel 2022 che non fosse scolastico o relativo al proprio lavoro. Ancora, il 17,5% non ha letto più di tre libri all’anno, il 15,4% tra i tre e gli 11 e solo il 6,4% ha letto una media di almeno un libro al mese"
    Oui, c'est désolant...
    Ciao Philff, bonne journée.
    siu

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    1. Buongiorno Siu, come stai? Oui c'est un beau petit livre, bien écrit, s'il n'y en a qu'un à lire par mois, pour Novembre c'est celui-là qu'il faut choisir ! Bah ! tu sais en France c'est la même chose je pense: les enfants lisent de moins en moins, les parents bossent et n'ont pas le temps, il n'y a que les retraités qui peuvent se permettre de lire un peu plus et de rapetisser la "pile à lire" amassée depuis longtemps, longtemps... Heureusement que tu es là pour remonter les statistiques italiennes ! ;)))
      Pour ce qui est du livre de Dino Buzzati, tu as parfaitement raison, il y ressemble beaucoup, mis à part peut-être la durée d'attente du protagoniste, bien moins longue dans "le rivage des Syrtes" mais beaucoup s'accordent à dire que Julien Gracq s'en aurait largement inspiré. Je vais lire "Le désert des Tartares" très prochainement pour m'en rendre compte par moi-même. Merci à toi.

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  2. Depuis longtemps j'ai prévu de le lire, prévu....et oublié. merci de m'y faire penser, dans cette famille de livres, je rangerais La légende des montagnes qui naviguent de Paolo Rumiz. je ne saurais pas te dire pourquoi au juste, à cause de ces confins entre Italie, Slovénie et Suisse...En tout cas j'aime tout de Paolo Rumiz

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    1. Ah, Paolo Rumiz! Moi aussi j'aime tout de lui: livres, articles, interviews...
      En plus nous sommes concitoyens: triestins tous les deux ;-))
      siu

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    2. Bonjour Miriam, je ne suis pas sûr de ton association. La légende des montagnes qui naviguent me fait penser plutôt à "Blanc" de Sylvain Tesson, avec la traversée des Alpes. C'est un livre de voyage, Paolo Rumiz raconte son périple, ses rencontres.
      Le rivage des Syrtes n'est pas un livre de voyage. Est-ce un roman ? pas vraiment. Même pas un récit à proprement parler. C'est une attente racontée par le héros. Sa lecture demande de l'exigeance. Et de la patience. Il nous faut attendre qu'il se passe quelque chose. Car ce qui est à aimer dans ce livre n'est pas "qu'il se passe quelque chose" mais de l'attendre.
      Par contre, Siu, dans le commentaire juste au-dessus, parle du Désert des Tartares et là il y a une ressemblance frappante dans le pays : indéfini, le lieu : une forteresse, l'attente : d'un ennemi. Je n'ai pas lu ce livre et je ne sais pas si le style est aussi poêtique: je m'en vais voir ça prochainement ;) à + !

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    3. Ah, Paolo Rumiz ! et Triestin aussi, positif tout ça ! Bon je vais le noter à lire lui aussi !

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    4. Hier soir sur Cine+classicisme le désert des Tartare décors sublimes

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  3. Gracias , Philfff.
    Salut desde El Prat, Barcelona.

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