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mardi 9 février 2021

Allez savoir pourquoi il y a des gens (2)

  Allez savoir pourquoi il y a des gens qui me remuent l'égo.

  Il y a des gens qu'on invite à la télé parce qu'ils ont écrit un livre ou un article, tourner un film, réaliser un exploit, etc. et qui viennent vous parler chez vous par l'intermédiaire du petit écran. Parmi ceux-là certains me remuent l'égo c'est à dire qui, par leur simplicité, leur humilité, par leur clairvoyance élémentaire me mettent face à ma fatuité, me donnent en fait, il faut le dire un petit coup de pied au cul. 

  Non ce n'est ni un homme politique qui aurait LA solution à nos problèmes (vote pour lui bon sang !), ni un gourou qui devine que toi, lecteur tu as besoin de sa science infuse pour être enfin parmi les élus (connecte toi à son site saperlipopette !).

  Ni même un de ceux qui "savent" et veulent vous donner des "leçons de vie" en vous vendant au passage leur bouquin et ce n'est pas non plus un religieux. Non rien de tout cela, juste un homme qui fait son chemin, même pas un orateur qui vous enrobe ses phrases d'une saveur séduisante.

  Juste lui qui vous parle de choses simples qu'on a oublié d'entendre depuis longtemps, juste lui avec une attitude humble, quelques mots prononcés rares mais efficaces, simples oui mais qui font mouche, qui vous empoigne le cœur et vous agite l'égo bref  là vous vous dites "il parle juste, il a tout bon".

  Et pourtant il n'a quasiment rien dit.

 Et moi, j'aimerais qu'il en reste quelque chose, un rappel de mon émotion saupoudré là parmi les articles qui lui ont été, sont et seront dediés dans le tumulte du net.

Jean Le Cam est un navigateur et skipper professionnel français. Il est surnommé le « roi Jean » du fait de son impressionnant palmarès. Il vient de disputer son cinquième tour du monde en solitaire dans le  Vendée Globe à 61 ans, au cours duquel il effectue le sauvetage de Kevin Escoffier dans l'Atlantique sud après que le bateau de ce dernier a coulé, avant de se classer quatrième.

 Ça c'est déjà un exploit. Ecoutez-le dans une émission :


Mais moi ce qui m'a plu dans son "discours", c'est que plus tard dans la même émission, il dit ceci:

"Aujourd'hui les gens ont besoin de vrais repères ok y a des smartphones ok y a des médias aujourd'hui on est dans une sorte de brouhaha - on sait pu - ils savent pu - ils sont un peu perdus - les jeunes, ils ont vu le covid, après, un coup c'est ça - un (autre) coup c'est ça - donc en permanence, en temps de crise, noyés dans une information qu'on n'sait plus ce qui est réel ou pas - et là ils tombent - voila sur le vent des globes avec des vrais valeurs - des valeurs un peu, voilà - voilà - (sur le bateau) on fait pipi dans le seau et on met le seau parterre l'eau - c'est quelque chose de la nature - et voila et puis c'est des choses de la nature et ça c'est valable pour tous les jeunes c'est que des fois t'es fainéant - l'être humain est fainéant - hein - les jeunes, on veut pas faire ci on veut pas faire ça - on veut pas se lever. Sur le vent des globes ou t'es fainéant, on veut pas le faire et bien ça te reviens dans la figure - voila et ça c'est une leçon que je veux dire au jeunes: quand il faut faire un truc il faut le faire et une fois c'est passé c'est passé "

Ces quelques phrases mal énoncées peut-être (mais si elles sortaient d'un livre elle n'aurait pas la portée de la spontanéité) vous fait revenir à la vie réelle, dénonce la procrastination, met le doigt sur la complaisance que l'on a avec soi-même attiré par tous les divertissements proposés par les médias médias, pc, smartphones, nous rendant addicts jusqu'au désœuvrement. Bougez-vous, bougeons-nous.

Oui je sais 

c'est peu

mais quelquefois un rien vous émeut.

A + !


mardi 8 décembre 2020

Allez savoir pourquoi il y a des gens

 Allez savoir pourquoi il y a des gens qui vous revienne en mémoire.

Il y a des gens dont vous n'avez plus de nouvelles parce que vos routes se sont séparés et chacun, la tête dans le guidon, a pédalé sans en faire grand cas, ou bien la route de ces gens s'est brutalement  interrompue.

Allez savoir pourquoi il y a des gens qui vous revienne en mémoire à des périodes précises, souvent là où la route s'est arrêtée. Et moi, j'aimerais qu'il en reste quelque chose, un soupçon de souvenir saupoudré là dans le tumulte du net. 




Najib

Il m’attendait toujours sur l’avenue bruyante, surchargée de camions, qui borde la cité. Son imposante stature s’était plantée là, sur le trottoir, immobile, insensible à la pollution routière.

Najib était comme on dit « un homme enveloppé »,  il ne l’avait pas toujours été. Jeune, il visitait régulièrement une salle d’haltérophilie et était musclé,  m’avait-il dit. Mais maintenant son corps subissait les méfaits de son alimentation déséquilibrée et peut-être de ses gènes; il avait un visage aux traits grossiers, fendu d’un large sourire flasque qui reflétait pourtant une véritable bonté. Des mains de catcheur qu’on hésitait à serrer, ce qui n’était plus mon cas: passée notre première entrevue, Najib m’embrassait maintenant comme on embrasse un cousin.
Mais que fallait-il craindre le plus de la main ou de l’étreinte de ses bras énormes qui vous aplatissaient contre son torse ? j'avais l'impression d'être une peluche à qui l'on faisait un câlin.

Il monta dans la voiture et, bien avant de fermer la portière, me répétait en criant dans l’oreille : PHILIPPE !!!! SALAMALEKUM !!!! ça va ? vite démarre, DEMARRE !! met le signal (pour lui, le clignotant : il n’avait pas le permis de conduire) !! là, DROITE, gauche au feu !! la famille ça va ?  STOP c’est rouge, c’est bien… VERT !! et le fils ça va ? Ton président qu’est-ce qu’il fait, c’est bien qu’est ce qu’il fait, etc.
Pas la peine pour l’instant de tenter de répondre … juste acquiescer… sourire… et puis éclater de rire : vous aviez oublié ?! Bienvenue à Mohammedia !
Le flot de paroles emplit, remplit la voiture: des conseils de conduite avec les mains obstruent le pare-brise, des questions mielleuses sur la famille, la santé, les nouvelles du Maroc se répandent doucement entre les sièges, mêlées à d’illogiques commentaires politiques comme seul lui peut en émettre, et encore des indications autoritaires sur le parcours que nous connaissons pourtant par cœur, sont projetés à gauche, à droite, accompagnés de gestes de ses gros bras qui vous encombrent la vision, débordent par-dessus la vitre baissée.
Tandis que ses élans inondent l’atmosphère de la voiture, me brouille l’esprit et finissent par me faire rire, une pensée surgit : le trajet est court : Pourrais-je rouler 100 km avec lui ?

Dans la raffinerie, Najib connaissait tout le monde, du directeur au moindre stagiaire, et, de l’entrée à la salle de contrôle, les quelques centaines de mètres à marcher,  duraient une heure, on s’appelle, on s’apostrophe, on s’embrasse, on me présente puis on repart, 10 fois, 20 fois ou peut-être plus encore …c’est d’autant plus pénible que je sais déjà qu’au retour, les équipes de travail auront permutées et que tout sera refait à l’envers : de la salle de contrôle jusqu’à l’entrée de l’usine, on s’appellera, on s’apostrophera…
Le travail achevé, sur la route du retour, c’est le calme, on s’arrête pour déjeuner si c’est midi, toujours dans les même snacks du port : salade de tomates et oignons rouges puis des limandes frites, si imbibées d’huile qu’il vaut mieux les plaquer sur la nappe en papier pour en éliminer une partie et retirer la panure avec les doigts. Mais il en reste encore beaucoup, toute cette huile de friture.

Là, Najib est plus placide quand il mange. L’huile ne lui fait pas peur, il ne mange pas il dévore,  ramasse la  « panure-éponge d’huile » que j’ai boudé en me disant T’en veux pas ?
Toute cette huile de friture.
Toute cette huile de friture.
Alors je m’enquiers seulement maintenant de lui, de sa famille, ses enfants, leur santé à chacun, a-t-il terminé sa maison ? Mais je sais bien qu’il ne la terminera jamais, comme la plupart des gens d’ici. Sa maison.

Najib avait fait construire sa maison, pas dans la Médina, non, mais dans la grande cité du sud qui se répandait et avec elle des milliers de sachets et autres bouteilles plastiques que tout le monde jetait sans égard. Les papiers et cartons eux étaient récupérés par ces hommes qui les amassaient dans des charrettes tirés par des ânes.

La principale avenue était goudronnée, les rues qui la bordaient non. Pas encore (le seront-elles un jour ?) mais quand même des trottoirs.
Et puis plus loin encore de la grande avenue, juste du sable sans trottoir.
Et partout des plastiques, des enfants qui courent, crient et rient autour des vieillards immobiles, le corps recouvert d’une djellaba grise ou brune de berger, accroupis comme eux seuls savent le faire, à l’ombre des bâtiments, accroupis là comme leurs pères les bergers, et les pères de leurs pères…

La maison n’était pas très grande mais très propre,  la porte d’entrée donne sur un vestibule, de l’escalier à gauche, bizarrement on peut voir le ciel.

Najib m’expliqua la première fois que tant que la maison n’était pas terminée, il ne payait pas de taxe et que le deuxième niveau une fois fini serait pour son fils et sa femme, et le troisième si besoin pour sa fille. Pour l’instant, à voir l’état des marches du premier palier, maculées de déjections aviaires, seuls les pigeons étaient locataires des étages. Comme à chaque explication, son sourire se fige, il me dévisage, attendant mon approbation que je m’empresse de lui donner.

Mais que se passait-il quand il pleuvait ? Je n’ai pas posé la question.

Au fond, la cuisine derrière laquelle on devinait l’arrière-cour. A droite un grand salon Marocain avec ses canapés tout le long des trois murs et des tapis partout : Najib frappe sur un canapé, jette des coussins. Viens t’asseoir Philippe. Du  thé ? Sans attendre il part, appelle sa femme, et s’en suit un dialogue en arabe, ponctué de quelques mots français, souvenirs de la colonisation, qui émergent ça et là, gâteaux, France, Marseille…

Je reste seul, et me sens soudain gêné de cet accueil franc, simple. D’où je suis, j’aperçois l’intérieur de la pièce en face : une chambre. Sur des tapis, des matelas et sur ceux-ci des duvets, des couvertures pêle-mêle tout est étalé au ras du sol, partout si bien qu'il n'est pas possible de fermer la porte.  Najib revenu, suivant mon regard, me dira Regarde Philippe, là c’est la chambre des enfants ! Ils ont toujours bien chaud !

La dernière fois que j’y suis revenu c’était pour manger le mouton, la semaine après la fête de l’Aïd. C’est là que Najib m’as dit, Je suis malade, j’ai consulté le médecin il m’a dit : c’est le foie, vous buvez !!  MOI ! BOIRE DE L’ALCOOL !! Jamais j’ai bu !! il m’a donné des médicaments mais y a rien à faire. 

Lors de mes missions suivantes, je n’ai revu Najib qu’une seule fois, assis à son bureau, il était là mais ne travaillait pas, il était très amaigri, c’est moi qui suis venu l’embrasser, qui lui a posé les milles questions qu’il me posait toujours à nos retrouvailles. Mais sans le presser, en attendant patiemment ses réponses, il m’a dit, Philippe, mon foie ça va pas mieux non.

C’est Ahmed qui m’apprit la triste nouvelle quelques mois plus tard.

A + !