Saison des pluies !
La Via Cappuccini que l'on veut remonter est inondée par un courant d'eau de
pluie qui la dévale et risque de déborder sur le trottoir, en
mauvais état.
Coincés par ce petit torrent,
hésitants, nous nous apprêtions, plus par manque d'imagination à trouver une meilleure
solution plutôt que par courage, y noyer nos chaussures et y glacer
nos pieds.
Quand, d'une petite Fiat Uno rouge, un gros monsieur nous
interpella avec de grand gestes de son bras tout entier sorti de
la petite portière.
Quelques No ! No ! No ! Suivis
d'une tirade que seuls les Italiens peuvent déclamer – mais
efficace car nous comprîmes illico que s'engager plus avant dans
cette rue n'était pas une bonne idée et qu'il fallait passer par
là (fallait suivre son doigt à droite).
Un torrent nous séparant, moi et le Monsieur à la Uno rouge, je ne puis assouvir l'envie de le serrer
dans mes bras pour le remercier ! Il nous avait tiré d'un
mauvais pas.
Aprés avoir marché un peu plus longtemps mais au sec, en passant par le Corso Calatafimi,
La pluie s'arrète, jolie vue d'une entrée , Corso Calatafimi. |
Nous y arrivâmes enfin, la pluie avait cessée, nous avions gardé nos imperméables et nos parapluies.
Ainsi écrivait Guy de Maupassant:
" Qu'est-ce que cela ? Si on le demande à un habitant de Palerme, il répond avec dégoût : « N'allez pas voir cette horreur. C'est une chose affreuse, sauvage, qui ne tardera pas à disparaître, heureusement. D'ailleurs on n'enterre plus là-dedans depuis plusieurs années. » Il est difficile d'obtenir des renseignements plus détaillés et plus précis, tant la plupart des Siciliens semblent éprouver d'horreur pour ces extraordinaires catacombes.
Voici pourtant ce que je finis par apprendre. La terre sur laquelle est bâti le couvent des Capucins possède la singulière propriété d'activer si fort la décomposition de la chair morte, qu'en un an, il ne reste plus rien sur les os, qu'un peu de peau noire, séchée, collée et qui garde, parfois, les poils de la barbe et des joues. On enferme donc les cercueils en de petits caveaux latéraux qui contiennent chacun huit ou dix trépassés, et l'année finie, on ouvre la bière, d'où l'on en retire la momie, momie effroyable, barbue, convulsée, qui semble hurler, qui semble travaillée par d'horribles douleurs. Puis on la suspend dans une des galeries principales, où la famille vient la visiter de temps en temps. Les gens qui voulaient être conservés par cette méthode de séchage le demandaient avant leur mort, et ils resteront éternellement alignés sous ces voûtes sombres, à la façon des objets qu'on garde dans les musées, moyennant une rétribution annuelle versée par les parents. Si les parents cessent de payer, on enfouit tout simplement le défunt, à la manière ordinaire.
J'ai voulu visiter aussitôt cette sinistre collection de trépassés.
A la porte d'un petit couvent d'aspect modeste, un vieux capucin, en robe brune, me reçoit et il me précède sans dire un mot, sachant bien ce que veulent voir les étrangers qui viennent en ce lieu.
Nous traversons une pauvre chapelle et nous descendons lentement un large escalier de pierre. Et tout à coup, j'aperçois devant nous une immense galerie, large et haute, dont les murs portent tout un peuple de squelettes habillés d'une façon bizarre et grotesque. Les uns sont pendus en l'air côte à côte, les autres couchés sur cinq tablettes de pierre, superposées depuis le sol jusqu'au plafond. Une ligne de morts est debout par terre, une ligne compacte, dont les têtes affreuses semblent parler. Les unes sont rongées par des végétations hideuses qui déforment davantage encore les mâchoires et les os, les autres ont gardé leurs cheveux, d'autres un bout de moustache, d'autres une mèche de barbe.
Celles-ci regardent en l'air de leurs yeux vides, celles-là en bas ; en voici qui semblent rire atrocement, en voilà qui sont tordues par la douleur, toutes paraissent affolées par une épouvante surhumaine.
Et ils sont vêtus, ces morts, ces pauvres morts hideux et ridicules, vêtus par leur famille qui les a tirés du cercueil pour leur faire prendre place dans cette effroyable assemblée. Ils ont, presque tous, des espèces de robes noires dont le capuchon parfois est ramené sur la tête. Mais il en est qu'on a voulu habiller plus somptueusement et le misérable squelette, coiffé d'un bonnet grec à broderies et enveloppé d'une robe de chambre de rentier riche, étendu sur le dos, semble dormir d'un sommeil terrifiant et comique.
Une pancarte d'aveugle, pendue à leur cou, porte leur nom et la date de leur mort. Ces dates font passer des frissons dans les os. On lit : 1880-1881-1882.
Voici donc un homme, ce qui était un homme, il y a huit ans ? Cela vivait, riait, parlait, mangeait, buvait, était plein de joie et d'espoir. Et le voilà ! Devant cette double ligne d'êtres innombrables, des cercueils et des caisses sont entassées, des cercueils de luxe en bois noir, avec des ornements de cuivre et de petits carreaux pour voir dedans. On croirait que ce sont des malles, des valises de sauvages achetées en quelque bazar par ceux qui partent pour le grand voyage, comme on aurait dit autrefois.
"Côté Enfants" |
Mais d'autres galeries s'ouvrent à droite et à gauche, prolongeant indéfiniment cet immense cimetière souterrain. Voici les femmes plus burlesques encore que les hommes, car on les a parées avec coquetterie. Les têtes vous regardent, serrées en des bonnets à dentelles et à rubans, d'une blancheur de neige autour de ces visages noirs, pourris, rongés par l'étrange travail de la terre. Les mains, pareilles à des racines d'arbres coupées, sortent des manches de la robe neuve, et les bas semblent vides qui enferment les os des jambes. Quelquefois le mort ne porte que des souliers, de grands, grands souliers pour ces pauvres pieds secs.
Voici les jeunes filles, les hideuses jeunes filles, en leur parure blanche, portant autour du front une couronne de métal, symbole de l'innocence. On dirait des vieilles, très vieilles, tant elles grimacent. Elles ont seize ans, dix-huit ans, vingt ans. Quelle horreur !
Mais nous arrivons dans une galerie pleine de petits cercueils de verre - ce sont les enfants. Les os, à peine durs, n'ont pas pu résister. Et on ne sait pas bien ce qu'on voit, tant ils sont déformés, écrasés et affreux, les misérables gamins. Mais les larmes vous montent aux yeux, car les mères les ont vêtus avec les petits costumes qu'ils portaient aux derniers jours de leur vie. Et elles viennent les revoir ainsi, leurs enfants !
Souvent, à côté du cadavre, est suspendue une photographie, qui le montre tel qu'il était, et rien n'est plus saisissant, plus terrifiant que ce contraste, que ce rapprochement, que les idées éveillées en nous par cette comparaison.
Nous traversons une galerie plus sombre, plus basse, qui semble réservée aux pauvres. Dans un coin noir, ils sont une vingtaine ensemble, suspendus sous une lucarne, qui leur jette l'air du dehors par grands souffles brusques. Ils sont vêtus d'une sorte de toile noire nouée aux pieds et au cou, et penchés les uns sur les autres. On dirait qu'ils grelottent, qu'ils veulent se sauver, qu'ils crient : « Au secours ! » On croirait l'équipage noyé de quelque navire, battu encore par le vent, enveloppé de la toile brune et goudronnée que les matelots portent dans les tempêtes, et toujours secoués par la terreur du dernier instant quand la mer les a saisis.
Voici le quartier des prêtres. Une grande galerie d'honneur ! Au premier regard, ils semblent plus terribles à voir que les autres, couverts ainsi de leurs ornements sacrés, noirs, rouges et violets. Mais en les considérant l'un après l'autre, un rire nerveux et irrésistible vous saisit devant leurs attitudes bizarres et sinistrement comiques. En voici qui chantent ; en voilà qui prient. On leur a levé la tête et croisé les mains. Ils sont coiffés de la barrette de l'officiant qui, posée au sommet de leur front décharné, tantôt se penche sur l'oreille d'une façon badine, tantôt leur tombe jusqu'au nez. C'est le carnaval de la mort que rend plus burlesque la richesse dorée des costumes sacerdotaux.
De temps en temps, parait-il, une tête roule à terre, les attaches du cou ayant été rongées par les souris. Des milliers de souris vivent dans ce charnier humain. On me montre un homme mort en 1882. Quelques mois auparavant gai et bien portant, il était venu choisir sa place, accompagné d'un ami :
- Je serai là, disait-il, et il riait.
L'ami revient seul maintenant et regarde pendant des heures entières le squelette immobile, debout à l'endroit indiqué.
En certains jours de fête, les catacombes des Capucins sont ouvertes à la foule. Un ivrogne s'endormit une fois en ce lieu et se réveilla au milieu de la nuit, il appela, hurla, éperdu d'épouvante, courut de tous les côtés, cherchant à fuir. Mais personne ne l'entendit. On le trouva au matin, tellement cramponné aux barreaux de la grille d'entrée, qu'il fallut de longs efforts pour l'en détacher. Il était fou.
Depuis ce jour, on a suspendu une grosse cloche près de la porte."
Ainsi décrivait Mr De Maupassant, en 1886; le lieu n'a guère changé, certainement plus propre et mieux "rangé" mais tout aussi morbide et ... payant !
A + !
L'épouvante de ces momies est, je trouve, inversement proportionnelle à la beauté de l'écriture de Guy de Maupassant.
RépondreSupprimerOui c'est vrai l'endroit est sinistre. Tout a commencé avec les moines qui avait en leur corps "l'esprit saint" et que, donc, on ne pouvait pas détruire. Puis cela s'est étendu aux nobles, aux bourgeois... Que ce soit en politique comme en religion, on s'arrange toujours du moment que l'argent rentre ! Merci d'être passée Siu ! et... bonne journée tout de même ;)
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