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samedi 12 mai 2012

Rimbaud - L'impossible, L'éternité



J’ai l’heureuse habitude de télécharger l’émission présentée par Rebecca Manzoni sur France Inter : Eclectik. Podcasts que je compile dans mon pad et que j’écoute dés que je voyage. J’admire R. Manzoni, elle a le don de poser le décor si justement, trouver le mot exact qui va définir chaque attitude de son invité avec pointes d’humour prononcées un ton plus bas comme en aparté, à me surprendre moi-même de penser qu’elle s’est retourné vers nous pour nous décocher un complice clin d’œil. Elle me rappelle un peu Pascale Clark à une certaine époque. Mais là n’est pas le sujet.
J’écoutais dans l’avion ce jour-là, une des dernières émissions dont l’invitée était Brigitte Fontaine, elle y présentait son dernier livre. Soudain Rebecca Manzoni change de thème et lui fait écouter un texte ; c’était un poème de Rimbaud.  Le sujet lancé, Brigitte Fontaine commence à déclamer un autre poème, en prose celui-là:
‘’Mais je m'aperçois que mon esprit dort. S'il était bien éveillé toujours à partir de ce moment…’’
Par le nombre de fois ou j’ai lu ‘Une saison en enfer’ ces quelques mots m’ont interpelé et m’ont rappelé le plaisir de la poésie. Il faut dés maintenant que je partage celui-ci quand bien même certains se pensent insensibles : à ceux-là, je donnerais seulement le conseil de JL Trintignant : Ne chercher pas à lire les poètes mais écoutez-les. 
Voici donc L’impossible de Rimbaud, suivi de Sensation chanté par Jean-Louis Aubert.



Ah ! cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps, sobre surnaturellement, plus désintéressé que le meilleur des mendiants, fier de n'avoir ni pays, ni amis, quelle sottise c'était. - Et je m'en aperçois seulement !
- J'ai eu raison de mépriser ces bonshommes qui ne perdraient pas l'occasion d'une caresse, parasites de la propreté et de la santé de nos femmes, aujourd'hui qu'elles sont si peu d'accord avec nous. J'ai eu raison dans tous mes dédains : puisque je m'évade !
Je m'évade !
Je m'explique.
Hier encore, je soupirais : "Ciel ! sommes-nous assez de damnés ici-bas ! Moi, j'ai tant de temps déjà dans leur troupe ! Je les connais tous. Nous nous reconnaissons toujours ; nous nous dégoûtons. La charité nous est inconnue. Mais nous sommes polis ; nos relations avec le monde sont très convenables." Est-ce étonnant ? Le monde ! les marchands, les naïfs ! - Nous ne sommes pas déshonorés. - Mais les élus, comment nous recevraient-ils ? Or il y a des gens hargneux et joyeux, de faux élus, puisqu'il nous faut de l'audace ou de l'humilité pour les aborder. Ce sont les seuls élus. Ce ne sont pas des bénisseurs !
M'étant retrouvé deux sous de raison - ça passe vite ! - je vois que mes malaises viennent de ne m'être pas figuré assez tôt que nous sommes à l'Occident. Les marais occidentaux ! Non que je croie la lumière altérée, la forme exténuée, le mouvement égaré... Bon ! voici que mon esprit veut absolument se charger de tous les développements cruels qu'a subis l'esprit depuis la fin de l'Orient... Il en veut, mon esprit !
... Mes deux sous de raison sont finis ! L'esprit est autorité, il veut que je sois en Occident. Il faudrait le faire taire pour conclure comme je voulais.
J'envoyais au diable les palmes des martyrs, les rayons de l'art, l'orgueil des inventeurs, l'ardeur des pillards;  je retournais à l'Orient et à la sagesse première et éternelle. - Il paraît que c'est un rêve de paresse grossière !
Pourtant, je ne songeais guère au plaisir d'échapper aux souffrances modernes. je n'avais pas en vue la sagesse bâtarde du Coran. - Mais n'y a-t-il pas un supplice réel en ce que, depuis cette déclaration de la science, le christianisme, l'homme se joue, se prouve les évidences, se gonfle du plaisir de répéter ces preuves, et ne vit que comme cela ? Torture subtile, niaise ; source de mes divagations spirituelles. La nature pourrait s'ennuyer, peut-être ! M. Prud'homme est né avec le Christ.
N'est-ce pas parce que nous cultivons la brume ? Nous mangeons la fièvre avec nos légumes aqueux. Et l'ivrognerie ! et le tabac ! et l'ignorance ! et les dévouements ! - Tout cela est-il assez loin de la pensée de la sagesse de l'Orient, la patrie primitive ? Pourquoi un monde moderne, si de pareils poisons s'inventent !
Les gens d'Église diront : C'est compris. Mais vous voulez parler de l'Éden. Rien pour vous dans l'histoire des peuples orientaux. - C'est vrai ; c'est à l'Éden que je songeais ! Qu'est-ce que c'est pour mon rêve, cette pureté des races antiques !
Les philosophes : Le monde n'a pas d'âge. L'humanité se déplace, simplement. Vous êtes en Occident, mais libre d'habiter dans votre Orient, quelque ancien qu'il vous le faille, - et d'y habiter bien. Ne soyez pas un vaincu. Philosophes, vous êtes de votre Occident.
Mon esprit, prends garde. Pas de partis de salut violents. Exerce-toi ! - Ah ! la science ne va pas assez vite pour nous !
- Mais je m'aperçois que mon esprit dort.
S'il était bien éveillé toujours à partir de ce moment, nous serions bientôt à la vérité, qui peut-être nous entoure avec ses anges pleurant !... - S'il avait été éveillé jusqu'à ce moment-ci, c'est que je n'aurais pas cédé aux instincts délétères, à une époque immémoriale !... S'il avait toujours été bien éveillé, je voguerais en pleine sagesse !...
O pureté ! pureté !
C'est cette minute d'éveil qui m'a donné la vision de la pureté ! - Par l'esprit on va à Dieu !
Déchirante infortune !
Et pour le fun : SENSATION