Ah Turin! on nous l'avait dit: on ne sera pas déçu et c'est bien vrai. La ville, son centre, ses musées, les gens, nous avons tout aimer.
Je ne vais pas me substituer aux blogs de voyage, j'en serais bien incapable mais je voudrais juste partager deux ou trois points incontournables à voir si vous allez là-bas. Je le ferai en trois ou quatre billets. Notez bien qu'il y a beaucoup d'autres choses à voir/faire, en fait le nombre de sites à voir ici demande beaucoup plus de temps que ces quatre jours de passage. Il nous fallait faire des choix.
Etant logés dans un hôtel excentré, nous avons pris le métro pour rallier le centre;
On arrive devant la gare de Porta Nuova et l'on marche tout droit par la via Roma. Belle rue pleine de boutiques de toutes marques où j'ai peiné à tirer comme un chien sur sa laisse, la langue pendante et les yeux exorbités, essayant en vain d'accélérer le pas de mon épouse qui musarde devant chaque vitrine. Oui c'est vrai j'exagère.
Mais dans toute blague il y a toujours un fond de vérité...
.(ɐɯoᴚ ɐᴉʌ ɐן zǝʇᴉʌǝ ´ƃuᴉddoɥs nɐ sǝnbᴉƃɹǝןןɐ sǝɯɯoɥ sǝן snoʇ ɐ ǝuᴉʇsǝp ǝɥɔɐɔ ǝƃɐssǝɯ).
Enfin au sortir de cette rue nous passons entre deux belles petites églises jumelles de Santa Cristina et de San Carlo et nous traversons une très belle place la Piazza San Carlo pour s'approcher d'une grande et magnifique statue équestre :
Le Caval ëd Bronz (cheval de bronze, en piémontais) est une représentation de Emmanuel-Philibert de Savoie en train de rengainer son épée après la victoire obtenue à la bataille de Saint-Quentin (région du nord de la France) aux cotés des espagnols contre les français. Très belle statue !
Sur les côtés du socles, deux plaques de bronze représentent, l'une, la bataille de St Quentin et l'autre, la signature du traité de paix de Cateau-Cambrésis.
Permettez-moi de m'arrêter sur cette bataille qui a donc eu lieu à Saint-Quentin dans ma région natale et où je m'aperçois que des milliers d'espagnols, de piémontais et autres savoyards ont certainement foulés la terre qui fut 400 ans plus tard les champs de betteraves et de pommes de terre et le jardin de mon enfance ! Quelques 60 000 hommes de l'armée du roi Philippe II d'Espagne ont marché sur mes plates-bandes, et je me dis que, potentiellement, dans mes veines ne coule pas un sang 100 % gaulois... d'autant plus que les français étaient aidé par des troupes venant d'Allemagne et d'autres mercenaires d'ailleurs.
Cette bataille de Saint-Quentin, qui s'acheva donc par la victoire d'Emmanuel-Philibert de Savoie et conclut au traité de paix sus-cité.
Après cette place, nous devions partir ensemble visiter les musées du Palais Royal, mais auparavant, comme à Saint Quentin je suis presque chez moi et que cela m'intrigue de voir Emmanuel-Philibert de Savoie, bras armé de Philippe II fils héritier de Charles Quint, s'acharner sur une petite ville comme celle-ci, je vais m'y attarder un peu sur cette bataille, mais pas tout seul : avec Alex ! Celui-ci ayant consacré un roman à cette période, et comme les livres d'historiens me rebutent un peu, je vous invite à suivre cette bataille avec Dumas et moi !
En ce temps là (ça commence comme un conte on dirait) environ 1557 le nord de l'actuel France était divisée en sa longueur par le royaume de France et l'empire de Charles Quint. Donc à la question, pourquoi s'attaquer à Saint-Quentin ? la réponse est simple: c'était une ville frontalière ! mais pas que, comme le fait dire Dumas à Anne de Montmorency, le connétable :
"... Je voudrais seulement avoir un homme qui pût me donner des renseignements sur l’état de la ville de Saint-Quentin.
— Pourquoi cela, connétable ? demanda le roi.
— Parce que, avec les clefs de Saint-Quentin, on ouvre les portes de
Paris, sire ; c’est un proverbe de vieux routier. Connaissez-vous Saint-Quentin, monsieur de Théligny ?
— Non, monseigneur ; mais, si j’osais…
— Osez, mordieu ! osez ! le roi le permet..."
Eh oui ! avec les clefs de Saint-Quentin, on ouvre les portes de Paris ! Après cette ville rien ne peut arrêter les envahisseurs à envahir la France ! je n'entrerais pas dans des explications géopolitiques, Alexandre Dumas résume assez bien la situation comme cela. Il va d'ailleurs nous narrer cette bataille de Saint-Quentin avec force détails dans "Le Page du Duc de Savoie" (détails plutôt moins que plus véridiques, c'est un roman, ne l'oublions pas) par le truchement d'une bande de malfaiteurs,
"— Combien êtes-vous de votre bande ?
— De notre troupe, vous voulez dire, mon gentilhomme, reprit Yvonnet, un peu blessé de la qualification.
— De votre troupe, si cela vous plaît.
— A moins que, en mon absence, il ne soit arrivé malheur à quelqu'un de mes camarades, répondit Yvonnet interrogeant Pille-Trousse, nous sommes neuf. ..."
J'aurais préféré dire "association de malfaiteurs en bande organisée" car tous prompts à voler, tuer et dépouiller les dépouilles, mais bon. Donc, par le truchement d'une troupe assez pittoresque, il faut le dire, nous avançons dans l'histoire de cette attaque de Saint-Quentin où l'auteur s'emploie malicieusement à narrer des faits d'armes honorifiques car les défenseurs français se battaient à quelques milliers contre des dizaines de milliers. Evidement, la victoire ne peut être qu'en faveur du plus grand nombre. Mais les bourgeois de Saint-Quentin résistent et le siège dure, ils colmatent les brèches dans les murailles faites par les boulets de canons espagnols repoussent les attaques en perdant malheureusement beaucoup d'hommes, ça sent la défaite imminente. Pour continuer à résister il faut des renforts.
"Si glorieux fussent les deux échecs que venait d’éprouver l’amiral, ce n’en était pas moins des échecs qui lui faisaient comprendre le besoin qu’il avait d’être promptement secouru en face d’une si nombreuse armée et d’une si active vigilance.
En conséquence, il résolut, profitant du moment où l’armée anglaise, encore absente, laissait à découvert tout un côté de la ville, d’envoyer des messagers à son oncle le connétable pour obtenir de lui le plus grand renfort possible.
À cet effet, il fit venir Maldent et Yvonnet (Deux de la troupe) : Yvonnet, qui avait été le guide du pauvre Théligny, et Maldent, qui avait été son propre guide à lui. Le connétable devait être à Ham ou à La Fère ; l’un des deux messagers irait donc à Ham, l’autre à La Fère, porter des nouvelles et indiquer au connétable le moyen de faire parvenir un secours jusqu’à Saint-Quentin..."
L'erreur fatale dans l'issue de cette bataille vient d'un de ces brigands, Maldent, qui est de se réfugier dans le lit d'un paysan picard absent, Gosseu, lit où la femme de celui-ci dormait.
"— Ah ! s’écria-t-elle, vous n’êtes pau é ce pove Gosseu !… Dégaloppez-mai vitemeint hors d’ici, grand r’nidiu !"
Délogé par ses poursuivants qui le prennent pour le mari et veulent l'enrôler, Maldent est forcé de les suivre et doit s'habiller.
"Quant à Maldent, il avait son idée en recouvrant avec le drap la tête de Catherine ; il avait guigné sur la chaise les nippes toutes flambantes neuves de maître Gosseu, et il avait eu l’idée peu charitable de se les approprier, au lieu de l’habit de soudard tout dépenaillé qu’il avait précautionnellement poussé sous le lit. Il trouvait à cette substitution un double avantage : c’était d’avoir des chausses et un pourpoint neufs, au lieu d’un vieux pourpoint et des vieilles chausses ; et ensuite d’être vêtu en paysan au lieu d’être vêtu en militaire, ce qui lui donnait une plus grande sécurité pour accomplir le reste de son voyage.
Il commença donc à revêtir l’habit des dimanches du pauvre Gosseu, avec autant de tranquillité que si la mesure en eût été prise sur lui-même et qu’il l’eût payé de sa propre bourse."
Vous l'avez compris, Maldent oublie dans son habit de soudard la lettre devant informer le Connétable du besoin absolu de renforts et le chemin à suivre pour parvenir jusqu'à Saint-Quentin en évitant les troupes ennemies. Et donc:
"Il (Gosseu, le mari) apportait au général de l’armée espagnole une lettre qu’il avait trouvée dans un pourpoint militaire.
Quant au pourpoint militaire, il l’avait trouvé sous le lit de sa femme.
Cette lettre, c’était celle que l’amiral écrivait par duplicata au connétable.
Ce pourpoint, c’était celui de Maldent. ..."
Et voilà pourquoi et comment Emmanuel-Philibert de Savoie gagna la Bataille de Saint-Quentin: les renforts ne purent jamais arrivés.
Voilà pour le roman.
Pour la véritable histoire, autant que j'ai pu la lire sur Wikipédia (La Bataille de Saint-Quentin), et aussi là on peut douter du truculent Maldent qui perdit la lettre sous le lit d'une paysanne mais il est vrai que les renforts arrivant avec le connétable ont été stoppés avant d'atteindre les remparts de la ville, et aussi par faute de jugement du connétable Montmorency qui pensait le pont de la rivière, donnant accès à la ville, trop étroit pour les espagnols et les ralentirait et qu'il pourrait les "cueillir" au passage. il est vrai également que malheureusement, pour traverser cette même rivière, les barques qui arrivent en retard et en nombre insuffisant: sous le poids des hommes, les barques s’embourbent et chavirent. Et ce sont les espagnols qui "cueillent" les français, décimant toute l'armée. La méconnaissance du terrain par Anne de Montmorency en est aussi la cause. On peut lire également une excellente explication sur ce site.
Nous étions le 10 Août 1557, les clefs de Saint-Quentin étaient dans les mains d'Emmanuel Philibert de Savoie, les portes vers Paris étaient ouvertes.
"Batailler devant des bicoques, c'était bien une guerre qui allait au tempérament craintif et tâtonneur de Philippe II.
Marcher droit sur Paris était une détermination qui s'harmonisait bien avec le génie de aventureux de d'Emmanuel Philibert
Auquel de ces deux partis s'arrêteraient les vainqueurs ?"
L'Histoire attribue le renoncement de la conquête de Paris à Philippe II qui préféra continuer le siège de Saint-Quentin déjà bien en mal jusqu'à sa reddition complète. Après l'assaut final,
"Le 27 août, nous l’avons dit, dès le point du jour, le canon commença de gronder et, jusqu’à deux heures de l’après-midi, ne s’arrêta point une seconde. Il était inutile de répondre à un pareil feu, qui broyait les remparts, écrasait les maisons et allait frapper les habitants jusque dans les rues les plus reculées."
La ville qui fut vaincue, pillée, incendiée et tutti quanti.
"A partir de ce moment, ce fut tout autour de la ville comme l'éruption d'un immense volcan. Saint-Quentin semblait la salamandre antique enfermée dans une ceinture de flammes..."
Voilà, voilà pour la bataille de Saint-Quentin. Cette victoire méritait une statue, pour celui qu'on surnommait "Tête de fer", et Dumas s'en sert:
"Il était d'autant plus facile à reconnaitre que, selon son habitude, au lien de porter son casque sur sa tête, il le portait pendu au coté gauche de sa selle. Ce qui lui arrivait presque constamment par la pluie et par le soleil, et même aussi parfois pendant la bataille : d'où l'on disait que les soldats, voyant son insensibilité au froid, au chaud et aux coups, l'avaient surnommé "Tête de Fer"."
Une statue certes, quoique l'on peut se demander si les guerres méritent une quelconque reconnaissance. Saint-Quentin et sa région, comme beaucoup d'autres régions, fut victime de maintes et maintes guerres entrainant autant de folies meurtrières, il suffit de taper sur google "bataille de Saint-Quentin" pour voir qu'elles sont nombreuses jusqu'à la destruction complète en 1918 et s'apercevoir que des centaines de milliers d'hommes et de chevaux ont abreuvé de leur sang les sillons des champs de pommes de terre, lesquels profitent encore de cette fertilisation. Après cette lecture vous ne dégusterez pas une chips Vico, un petit Monster Munch sans y penser.
Bref. Passons.
En 1562, Turin devient la capitale des États de Savoie en remplacement de Chambéry. Le duc Emmanuel Philibert installe la Cour dans le palais des archevêques de Turin qu'il transforme en palais ducal. Et là normalement, j'aurais dû vous montrer quelques salles du Palais Royal de Turin mais ça ferait trop de lecture pour un seul billet ! je vous vois, vous êtes déjà fatigués, pardonnez-moi; je me suis emballé avec Dumas, mon âme de gamin gourmand d'aventures a pris le dessus ! Ce sera pour un prochain billet !
A + !
- Mes sources sont dans les liens du texte. Le roman d'Alexandre Dumas est "Le Page du Duc de Savoie" notamment le tome 2.
- J'ai oublié, ou je n'ai pas eu l'occasion de cité trois héros du coté français de cette bataille: De Coligny et son frère D'Andelot et le jeune De Téligny.