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mardi 15 décembre 2020

Chenonceau. Pour moi.

 Tout comme mon billet sur Chambord (là) et Blois (ici) , je viens coller quelques photos prises lors de ma visite à Chenonceau. Malheureusement, une fausse manip m'a fait perdre la plupart alors

 Pour le reste

Pour ne pas les avoir prises en vain.

Pour ne pas aussi les perdre.

Pour moi.

Le Château de Chenonceau (sans x à la fin, c'est le village à coté, Chenonceaux, qui l'a gardé pour lui) est souvent nommé le Château des Dames, et je ne veux pas raconter l'Histoire de France, vous trouverez moult articles bien ficelés sur ce sujet dans le net, mais  comme j'ai énuméré les Grands Hommes passés à Blois, je me vois le plaisir de citer quelques unes de ces dames.

Avant le château, il y avait un château. Plutôt un fort médiéval celui-ci, carré avec 4 tours aux coins, comme celui que je fais toujours à la plage avec ma petite pelle et mon seau bleu. Il appartenait à Pierre Marques (le château, pas le seau). Après bien des micmacs de Thomas Bohier,  le château fut confisqué à la faveur de ce dernier.

Première de ces dames: Katherine Briçonnet, épouse de Thomas Bohier, (Notaire et secrétaire du roi en 1491, chambellan de Charles VIII, maître des comptes à Paris, etc. etc.. Il est au service de Louis XI, Charles VIII et Louis XII, et enfin de François Ier. En fait il n'a pas trop de temps alors il fait raser la forteresse en ne gardant qu'une tour pour reconstruire et c'est Katherine qui s'y colle pour superviser la reconstruction avec succés: ainsi né le Château de Chenonceau.

Puis Diane de Poitiers, Henry II dont elle est la maitresse lui donne le château (Il semble qu'il tient bien à elle, et soit bien sous son influence: Rabelais, méfiant, dira ""le roi avait pendu toutes les cloches du royaume au col de sa jument".

Diane ajoutera le pont sur la rivière le Cher (eh oui voici un château de la Loire sur le Cher) pour relier l'autre rive.

Ensuite Catherine de Medicis, l'épouse délaissée du même Henri II, qui, aussitôt veuve, déloge bien sûr ! Diane en lui donnant le château de Chaumont. Elle ajoutera sur le pont deux galeries superposées formant un superbe espace de réception, et donnant ainsi au château son aspect actuel. Pour évoquer la grandeur de ces deux galeries, pendant la première guerre mondiale, Gaston Menier, le propriétaire  y installera un hôpital militaire avec cent-vingt lits, un bloc opératoire, etc.

Après Louise de Lorraine, épouse du roi Henri III, qui héritera du château de Catherine de Médicis, sa belle-mère.

Et puis 

Louise Dupin,

Marguerite Pelouze, 

Marie de Luxembourg, Duchesse de Mercœur

Et j'en passe, toutes auront à cœur d'embellir, de rénover, de magnifier ce château. 

Pour en savoir plus, visiter Wiki qui a un bel article sur le château .

Maintenant mes photos ! Accompagnées cette fois-ci d'un texte de Flaubert: "Par les champs et les grèves". Lui seul sait décrire avec beaucoup de charmes, voyez comment il commence: "Je ne sais quoi d'une suave singulière et d'une aristocratique sérénité transpire du château de Chenonceau." Voilà ! en quelques mots il a planté le décor, l'ambiance. Je vous laisse suivre la suite.

"Je ne sais quoi d'une suave singulière et d'une aristocratique sérénité transpire du château de Chenonceau. Il est à quelque distance du village qui se tient à l'écart respectueusement. On le voit, au fond d'une grande allèe d'arbres, entouré de bois encadré dans un vaste parc à belles pelouses.



Bâti sur l'eau, en l'air, il lève ses tourelles, ses cheminées carrées, Le Cher passe dessous, et murmure en bas de ses arches dont les arêtes pointues brisent le courant. C'est paisible et doux, élégant et robuste. son calme n'a rien d'ennuyeux et sa mélancolie n'a pas d'amertume."






J'aime le style de Gustave ! c'est simple mais chaque mot est employé à bon escient : 'C'est paisible et doux, élégant et robuste. son calme n'a rien d'ennuyeux et sa mélancolie n'a pas d'amertume.' en deux phrase, on respire l'atmosphère de l'endroit.

"On entre par le bout d'une longue salle voutée en ogive qui servait autrefois de salles d'armes.


On y a mis quelques armures qui, malgré la nécessité de semblables ajustements, ne choquent pas et semblent à leur place. Tout l'intérieur est entendu avec goût. les tentures et les ameublements de l'époque sont conservés et soignés avec intelligence. Les grandes et vénérables cheminées du XVI -ème siècle ne recèlent pas, sous leur manteau, les ignobles et économiques cheminées à la prussienne qui savent se nicher sous de moins
grandes.


Dans les cuisines que nous visitâmes également, et qui sont contenues dans une arche du château, une servante épluchait des légumes, un marmiton lavait des assiettes, et debout aux fourneaux, le cuisinier faisait bouillir pour le déjeuner un nombre raisonnable de casseroles luisantes. Tout cela est bien, a un bon air, sent son honnête vie de château, sa paresseuse et existence d'homme bien né. J'aime les propriétaires de Chenonceau.



La princesse de Rohan.
Jean-Marc Nattier
Paris 1685-1766



N'y a-t-il pas, d'ailleurs, partout de bons vieux portraits à vous faire passer devant un temps infini, en vous figurant le temps où leurs maîtres vivaient,



et les ballets où tournaient les vertugadins de toutes ces belles dames roses, et les bons coups d'épée que ces gentilshommes s'allongeaient avec leurs rapières? Voilà des tentations de l'histoire. On voudrait savoir si ces gens-là ont aimé comme nous et les différences qu'il y avait entre leurs passions et le nôtres. 

On voudrait que leurs lèvres s'ouvrissent, pour dire les récits de leur cœur tout ce qu'ils ont fait autrefois, même de futile, quelles furent leurs angoisses et leur voluptés...








...Nous lui avons cependant dit adieu à ce pauvre Chenonceaux ; nous l’avons laissé avec ses beaux souvenirs, ses beaux portraits, ses belles armures et ses vieux meubles, dormant au bruit de sa rivière roucoulante, à l’ombre de ces grands arbres, sur son herbe verte ; et pleins de bonne humeur et les gourdes remplies, nous avons fait l’inauguration de nos sacs en allant à pied gagner Bléré pour de là nous rendre à Tours.

« Pax Tibi Marce Evangelista meus »

La paix est avec vous mon cher évangéliste

...Nous lui avons cependant dit adieu à ce pauvre Chenonceaux ; nous l’avons laissé avec ses beaux souvenirs, ses beaux portraits, ses belles armures et ses vieux meubles, dormant au bruit de sa rivière roucoulante, à l’ombre de ces grands arbres, sur son herbe verte ; et pleins de bonne humeur et les gourdes remplies, nous avons fait l’inauguration de nos sacs en allant à pied gagner Bléré pour de là nous rendre à Tours.

A + !

mardi 8 décembre 2020

Allez savoir pourquoi il y a des gens

 Allez savoir pourquoi il y a des gens qui vous revienne en mémoire.

Il y a des gens dont vous n'avez plus de nouvelles parce que vos routes se sont séparés et chacun, la tête dans le guidon, a pédalé sans en faire grand cas, ou bien la route de ces gens s'est brutalement  interrompue.

Allez savoir pourquoi il y a des gens qui vous revienne en mémoire à des périodes précises, souvent là où la route s'est arrêtée. Et moi, j'aimerais qu'il en reste quelque chose, un soupçon de souvenir saupoudré là dans le tumulte du net. 




Najib

Il m’attendait toujours sur l’avenue bruyante, surchargée de camions, qui borde la cité. Son imposante stature s’était plantée là, sur le trottoir, immobile, insensible à la pollution routière.

Najib était comme on dit « un homme enveloppé »,  il ne l’avait pas toujours été. Jeune, il visitait régulièrement une salle d’haltérophilie et était musclé,  m’avait-il dit. Mais maintenant son corps subissait les méfaits de son alimentation déséquilibrée et peut-être de ses gènes; il avait un visage aux traits grossiers, fendu d’un large sourire flasque qui reflétait pourtant une véritable bonté. Des mains de catcheur qu’on hésitait à serrer, ce qui n’était plus mon cas: passée notre première entrevue, Najib m’embrassait maintenant comme on embrasse un cousin.
Mais que fallait-il craindre le plus de la main ou de l’étreinte de ses bras énormes qui vous aplatissaient contre son torse ? j'avais l'impression d'être une peluche à qui l'on faisait un câlin.

Il monta dans la voiture et, bien avant de fermer la portière, me répétait en criant dans l’oreille : PHILIPPE !!!! SALAMALEKUM !!!! ça va ? vite démarre, DEMARRE !! met le signal (pour lui, le clignotant : il n’avait pas le permis de conduire) !! là, DROITE, gauche au feu !! la famille ça va ?  STOP c’est rouge, c’est bien… VERT !! et le fils ça va ? Ton président qu’est-ce qu’il fait, c’est bien qu’est ce qu’il fait, etc.
Pas la peine pour l’instant de tenter de répondre … juste acquiescer… sourire… et puis éclater de rire : vous aviez oublié ?! Bienvenue à Mohammedia !
Le flot de paroles emplit, remplit la voiture: des conseils de conduite avec les mains obstruent le pare-brise, des questions mielleuses sur la famille, la santé, les nouvelles du Maroc se répandent doucement entre les sièges, mêlées à d’illogiques commentaires politiques comme seul lui peut en émettre, et encore des indications autoritaires sur le parcours que nous connaissons pourtant par cœur, sont projetés à gauche, à droite, accompagnés de gestes de ses gros bras qui vous encombrent la vision, débordent par-dessus la vitre baissée.
Tandis que ses élans inondent l’atmosphère de la voiture, me brouille l’esprit et finissent par me faire rire, une pensée surgit : le trajet est court : Pourrais-je rouler 100 km avec lui ?

Dans la raffinerie, Najib connaissait tout le monde, du directeur au moindre stagiaire, et, de l’entrée à la salle de contrôle, les quelques centaines de mètres à marcher,  duraient une heure, on s’appelle, on s’apostrophe, on s’embrasse, on me présente puis on repart, 10 fois, 20 fois ou peut-être plus encore …c’est d’autant plus pénible que je sais déjà qu’au retour, les équipes de travail auront permutées et que tout sera refait à l’envers : de la salle de contrôle jusqu’à l’entrée de l’usine, on s’appellera, on s’apostrophera…
Le travail achevé, sur la route du retour, c’est le calme, on s’arrête pour déjeuner si c’est midi, toujours dans les même snacks du port : salade de tomates et oignons rouges puis des limandes frites, si imbibées d’huile qu’il vaut mieux les plaquer sur la nappe en papier pour en éliminer une partie et retirer la panure avec les doigts. Mais il en reste encore beaucoup, toute cette huile de friture.

Là, Najib est plus placide quand il mange. L’huile ne lui fait pas peur, il ne mange pas il dévore,  ramasse la  « panure-éponge d’huile » que j’ai boudé en me disant T’en veux pas ?
Toute cette huile de friture.
Toute cette huile de friture.
Alors je m’enquiers seulement maintenant de lui, de sa famille, ses enfants, leur santé à chacun, a-t-il terminé sa maison ? Mais je sais bien qu’il ne la terminera jamais, comme la plupart des gens d’ici. Sa maison.

Najib avait fait construire sa maison, pas dans la Médina, non, mais dans la grande cité du sud qui se répandait et avec elle des milliers de sachets et autres bouteilles plastiques que tout le monde jetait sans égard. Les papiers et cartons eux étaient récupérés par ces hommes qui les amassaient dans des charrettes tirés par des ânes.

La principale avenue était goudronnée, les rues qui la bordaient non. Pas encore (le seront-elles un jour ?) mais quand même des trottoirs.
Et puis plus loin encore de la grande avenue, juste du sable sans trottoir.
Et partout des plastiques, des enfants qui courent, crient et rient autour des vieillards immobiles, le corps recouvert d’une djellaba grise ou brune de berger, accroupis comme eux seuls savent le faire, à l’ombre des bâtiments, accroupis là comme leurs pères les bergers, et les pères de leurs pères…

La maison n’était pas très grande mais très propre,  la porte d’entrée donne sur un vestibule, de l’escalier à gauche, bizarrement on peut voir le ciel.

Najib m’expliqua la première fois que tant que la maison n’était pas terminée, il ne payait pas de taxe et que le deuxième niveau une fois fini serait pour son fils et sa femme, et le troisième si besoin pour sa fille. Pour l’instant, à voir l’état des marches du premier palier, maculées de déjections aviaires, seuls les pigeons étaient locataires des étages. Comme à chaque explication, son sourire se fige, il me dévisage, attendant mon approbation que je m’empresse de lui donner.

Mais que se passait-il quand il pleuvait ? Je n’ai pas posé la question.

Au fond, la cuisine derrière laquelle on devinait l’arrière-cour. A droite un grand salon Marocain avec ses canapés tout le long des trois murs et des tapis partout : Najib frappe sur un canapé, jette des coussins. Viens t’asseoir Philippe. Du  thé ? Sans attendre il part, appelle sa femme, et s’en suit un dialogue en arabe, ponctué de quelques mots français, souvenirs de la colonisation, qui émergent ça et là, gâteaux, France, Marseille…

Je reste seul, et me sens soudain gêné de cet accueil franc, simple. D’où je suis, j’aperçois l’intérieur de la pièce en face : une chambre. Sur des tapis, des matelas et sur ceux-ci des duvets, des couvertures pêle-mêle tout est étalé au ras du sol, partout si bien qu'il n'est pas possible de fermer la porte.  Najib revenu, suivant mon regard, me dira Regarde Philippe, là c’est la chambre des enfants ! Ils ont toujours bien chaud !

La dernière fois que j’y suis revenu c’était pour manger le mouton, la semaine après la fête de l’Aïd. C’est là que Najib m’as dit, Je suis malade, j’ai consulté le médecin il m’a dit : c’est le foie, vous buvez !!  MOI ! BOIRE DE L’ALCOOL !! Jamais j’ai bu !! il m’a donné des médicaments mais y a rien à faire. 

Lors de mes missions suivantes, je n’ai revu Najib qu’une seule fois, assis à son bureau, il était là mais ne travaillait pas, il était très amaigri, c’est moi qui suis venu l’embrasser, qui lui a posé les milles questions qu’il me posait toujours à nos retrouvailles. Mais sans le presser, en attendant patiemment ses réponses, il m’a dit, Philippe, mon foie ça va pas mieux non.

C’est Ahmed qui m’apprit la triste nouvelle quelques mois plus tard.

A + !

mardi 1 décembre 2020

Blois. Pour moi.

 Eh oui comme Chambord, mon précédent billet "stockage-de-mes-photos", je dois up-loader oups pardon télécharger mes suuuperbes photos prises au Château de Blois pour me les sauvegarder quelque part. Là non plus je ne vais pas vous refaire le guide touristique et vous narrer l'Histoire de France dont c'est vrai beaucoup de faits se sont déroulés ici, avec nos illustres amis dont:

Charles dit Le Chauve Petit-fils de Charlemagne, Roi de Francie Occidentale et Empereur d'Occident.

Thibaud dit l'ancien puis son fils Thibaud dit Le Tricheur Comtes de Blois

Louis Ier d'Orléans, frère du Roi Charles VI (dit le fou)

L'admirable Anne de Bretagne !

Charles Ier d'Orléans dit le Poète qui va aménagé la forteresse.

Louis XII Roi de France qui rajoute au Château une aile style gothique/première renaissance. 

François Ier Roi de France qui rajoute aussi au Château une aile mais de style progressif de l'époque Renaissance.

Henry II Roi de France

Catherine de Médicis Reine de France

Henry III Roi de France

Henry IV  dit le Grand Roi de FRance et de Navarre.

Gaston d'Orléans

La liste est longue de ceux qui ont séjourné, qui ont comploté contre les Rois et les Grands comme Richelieu, Mazarin, Etc Et ceux qui y ont trouvé la mort brutale comme le Duc de Guise. Même D'artagnan y est passé: je ne pouvais pas faire l'impasse de ne pas en citer quelques uns.

Bref comme le sujet historique est planté, voilà mes photos. Accompagnées de quelques belles phrases de Balzac, et j'en suis honoré... si vous voulez vous y attarder.

Mais auparavant, savourez cette phrase de Dumas qui commence Le Vicomte de Bragelonne:

"Vers le milieu du mois de mai de l’année 1660, à neuf heures du matin, lorsque le soleil déjà chaud séchait la rosée sur les ravenelles du château de Blois, une petite cavalcade, composée de trois hommes et de deux pages, rentra par le pont de la ville sans produire d’autre effet sur les promeneurs du quai qu’un premier mouvement de la main à la tête pour saluer, et un second mouvement de la langue pour exprimer cette idée dans le plus pur Français qui se parle en France : - Voici Monsieur qui revient de la chasse."


Maintenant Balzac :

Entre tous ces châteaux, celui de Blois, où se trouvait alors la cour, est un de ceux où la magnificence des d’Orléans et des Valois a mis son plus brillant cachet, et le plus curieux pour les historiens, pour les archéologues, pour les Catholiques. Il était alors complétement isolé. La ville, enceinte de fortes murailles garnies de tours, s’étalait au bas de la forteresse, car ce château servait en effet tout à la fois de fort et de maison de plaisance.


Au-dessus de la ville, dont les maisons pressées et les toits bleus s’étendaient, alors comme aujourd’hui, de la Loire jusqu’à la crête de la colline qui règne sur la rive droite du fleuve, se trouve un plateau triangulaire, coupé de l’ouest par un ruisseau sans importance aujourd’hui, car il coule sous la ville ; mais qui, au quinzième siècle, disent les historiens, formait un ravin assez considérable, et duquel il reste unprofond chemin creux, presque un abîme entre le faubourg et le château.

Ce fut sur ce plateau, à la double exposition du nord et du midi, que les comtes de Blois se bâtirent, dans le goût de l’architecture du douzième siècle, un castel où les fameux Thibault le Tricheur, Thibault le Vieux et autres, tinrent une cour célèbre..."


"Dans ces temps de féodalité pure où le roi n’était que primus inter pares, selon la belle expression d’un roi de Pologne, les comtes de Champagne, les comtes de Blois, ceux d’Anjou, les simples barons de Normandie, les ducs de Bretagne menaient un train de souverains et donnaient des rois aux plus fiers royaumes. Les Plantagenet d’Anjou, les Lusignan de Poitou, les Robert de Normandie alimentaient par leur audace les races royales, et quelquefois, comme du Glaicquin, de simples chevaliers refusaient la pourpre, en préférant l’épée de connétable. Quand la Couronne eut réuni le comté de Blois à son domaine,

Louis XII qui affectionna ce site peut-être pour s’éloigner du Plessis, de sinistre mémoire, construisit en
retour, à la double exposition du levant et du couchant, un corps de logis qui joignit le château des comtes de Blois aux restes de vieilles constructions desquelles il ne subsiste aujourd’hui que l’immense salle où se tinrent les États-Généraux sous Henri III.








Avant de s’amouracher de Chambord, François Iᵉʳ voulut achever le

château en y ajoutant deux autres ailes, ainsi le carré eût été parfait ; mais Chambord le détourna de Blois, où il ne fit qu’un corps de logis, qui de son temps et pour ses petits-enfants, devint tout le château. Ce troisième château bâti par François Iᵉʳ est beaucoup plus vaste et plus orné que le Louvre, appelé de Henri II. 


Il est ce que l’architecture dite de la Renaissance a élevé de plus fantastique. Aussi, dans un temps où régnait une architecture jalouse et où de moyen-âge on ne se souciait guère, dans une époque où la littérature ne se mariait pas aussi étroitement que de nos jours avec l’art, La Fontaine a-t-il dit du château de Blois, dans sa langue pleine de bonhomie : « Ce qu’a fait faire François Iᵉʳ, à le regarder du dehors, me contenta plus que tout le reste : il y a force petites galeries, petites fenêtres, petits balcons, petits ornements sans régularité et sans ordre, cela fait quelque chose de grand qui me plaît assez. » 

Le château de Blois avait donc alors le mérite de représenter trois genres d’architecture différents, trois époques, trois systèmes, trois dominations. Aussi, peut-être n’existe-t-il aucune demeure royale qui soitsous ce rapport comparable au château de Blois. Cette immense construction offre dans la même enceinte, dans la même cour, un tableau complet, exact de cette grande représentation des mœurs et de la vie des nations qui s’appelle l’Architecture.


Au moment où Christophe allait voir la cour, 
la partie du château qui, de nos jours, est occupée par le quatrième palais que s’y bâtit soixante-dix ans plus tard, pendant son exil, Gaston, le factieux frère de Louis XIII, offrait un ensemble de parterres et de jardins 
aériens pittoresquement mêlés aux pierres d’attente et aux tours inachevées du château de François Iᵉʳ. Ces jardins communiquaient par un pont 
d’une belle hardiesse, et que les vieillards du Blésois peuvent encore se souvenir d’avoir vu démolir, à un parterre qui s’élevait de l’autre côté du château et qui, par la disposition du sol, se trouvait au même niveau. 
 On allait aux jardins par des galeries extérieures et intérieures, dont la principale se nommait la Galerie des Cerfs, à cause de ses ornements. Cette galerie aboutissait au magnifique escalier qui sans doute a nspiré le fameux escalier double de Chambord, et qui, d’étage en étage, menait aux appartements.


Quoique La Fontaine ait préféré le château de François Iᵉʳ à celui de Louis XII, peut-être la naïveté de celui du bon roi plaira-t-elle aux vrais artistes autant qu’ils admireront la magnificence du roi-chevalier. L’élégance des deux escaliers qui se trouvent à chaque extrémité du château de Louis XII, les sculptures fines, originales qui y abondaient et que le temps a dévorées, mais dont les restes charment encore les antiquaires, tout, jusqu’à la distribution quasi-claustrale des appartements, révèle une grande simplicité de mœurs. 

Évidemment la cour n’existait pas encore et n’avait pas pris les développements que François Iᵉʳ et Catherine de Médicis devaient lui (y) donner, au grand détriment des mœurs féodales. 



En admirant la plupart des tribunes, les chapiteaux de quelques colonnes, certaines figurines d’une délicatesse exquise, il est impossible de ne pas imaginer que Michel Columb, ce grand sculpteur, le Michel-Ange de la Bretagne, n’ait pas passé par là pour plaire à sa reine Anne, qu’il a immortalisée dans le tombeau de son père, le dernier duc de Bretagne.

Quoi qu’en dise La Fontaine, rien n’est plus grandiose que la demeure du fastueux François Iᵉʳ. Grâce à je ne sais quelle brutale indifférence, à l’oubli peut-être, les appartements qu’y occupaient alors Catherine de Médicis et son fils François II nous offrent encore aujourd’hui leurs principales  dispositions..."






Aussi l’historien peut-il y revoir les tragiques scènes du drame de la Réformation dans lequel la double lutte des Guise et des Bourbons contre les Valois forme un des actes les plus compliqués et s’y dénoua.
Le château de François Iᵉʳ écrase entièrement la naïve habitation de Louis XII par sa masse imposante. Du côté des jardins d’en bas, c’est-àdire de la place moderne dite des Jésuites, le château présente une élévation presque double de celle qu’il a du côté de la cour. Le rez-de-chaussée, où se trouvaient les célèbres galeries, forme du côté des jardins le second étage. Ainsi, le premier où logeait alors la reine Catherine est le troisième, et les appartements royaux sont au quatrième au-dessus des jardins du bas qui, dans ce temps, étaient séparés des fondations par de profondes douves. Le château, déjà colossal dans la cour, paraît donc gigantesque, vu du bas de la place comme le vit La Fontaine, qui avoue n’être entré ni dans la cour ni dans les appartements. De la place des Jésuites, tout semble petit. Les balcons sur lesquels on se promène, les galeries d’une exécution merveilleuse, les fenêtres sculptées dont les embrasures sont aussi vastes que des boudoirs, et qui servaient alors de boudoirs, ressemblent aux fantaisies peintes des décorations de nos opéras modernes quand les peintres y font des palais de fées. 

Mais, dans la cour, quoique les trois étages au-dessus du rez-de-chaussée soient encore aussi élevés que le Pavillon de l’Horloge aux Tuileries, les délicatesses infinies de cette architecture se laissent voir complaisamment et ravissent les regards étonnés. 

Ce corps de logis, où tenaient la cour fastueuse de Catherine et celle de Marie Stuart, est partagé par une tour hexagone où tourne dans sa cage évidée un escalier en pierre, caprice moresque exécuté par des géants, travaillé par des nains, et qui donne à cette façade l’air d’un rêve. Les tribunes de l’escalier forment une spirale à compartiments carrés
qui s’attache aux cinq pans de cette tour, et dessine, de distance en distance, des encorbellements transversaux brodés de sculptures arabesques au dehors et au dedans. On ne peut comparer cette création étourdissante de détails ingénieux et fins, pleine de merveilles qui donnent la parole à ces pierres, qu’aux sculptures abondantes et profondément fouillées des ivoires de Chine ou de Dieppe. Enfin la pierre y ressemble à une guipure. Les fleurs, les figures d’hommes ou d’animaux descendent le long des nervures, se multiplient de marche en marche et couronnent cette tour par une clef de voûte où les ciseaux de l’art du seizième siècle ont lutté avec les naïfs tailleurs d’images qui, cinquante ans auparavant, avaient sculpté  les clefs de voûte des deux escaliers du château de Louis XII. 

Quelque ébloui que l’on soit en voyant ces formes renaissant avec une infatigable prolixité, l’on s’aperçoit que l’argent a manqué tout aussi bien à François Iᵉʳ pour Blois, qu’à Louis XIV pour Versailles. Plus d’une figurine montre sa jolie tête fine qui sort d’un bloc à peine dégrossi. Plus d’une rosace fantasque est seulement indiquée par quelques coups de ciseau dans la pierre abandonnée et où l’humidité fait fleurir ses moisissures verdâtres.
Sur la façade, à côté des dentelles d’une fenêtre, la fenêtre voisine offre ses masses de pierre déchiquetées par le Temps qui l’a sculptée à sa manière. Il existe là pour les yeux les moins artistes et les moins exercés un ravissant contraste entre cette façade où les merveilles ruissellent et la façade intérieure du château de Louis XII, composée au rez-de-chaussée de quelques arcades d’une légèreté vaporeuse soutenues (soutenue) par des colonnettes qui reposent en bas sur des tribunes élégantes, et de deux étages où les croisées sont sculptées avec une charmante sobriété. Sous les arcades s’étend une galerie dont les murailles offraient des peintures à fresque, et dont le plafond était également peint, car on retrouve encore aujourd’hui quelques traces de cette magnificence imitée de l’Italie et qui annonce les expéditions de nos rois, à qui le Milanais appartenait.
En face du château de François Iᵉʳ, se trouvait alors la chapelle des comtes de Blois dont la façade était presque en harmonie avec l’architecture de l’habitation de Louis XII. Aucune image ne saurait peindre la solidité majestueuse de ces trois corps de bâtiments, et malgré le désaccord de l’ornementation, la Royauté puissante et forte, qui démontrait la grandeur de ses craintes par la grandeur des précautions, servait de lien à ces trois édifices de natures différentes, dont deux s’adossent à l’immense salle des
États-Généraux, vaste et haute comme une église. Certes, ni la naïveté, ni la force des existences bourgeoises qui sont dépeintes au commencement de cette histoire, et chez lesquelles l’Art était toujours représenté, ne manquaient à cette habitation royale. Blois était bien le thème fécond et brillant auquel la Bourgeoisie et la Féodalité, l’Argent et le Noble donnaient tant de vivantes répliques dans les villes et dans les campagnes.
Vous n’eussiez pas autrement voulu la demeure du prince qui régnait sur le Paris du seizième siècle. La richesse des vêtements seigneuriaux, le luxe des toilettes de femmes, devaient admirablement s’harmonier à la toilette de ces pierres si curieusement travaillées. D’étage en étage, en montant le merveilleux escalier de son château de Blois, le roi de France découvrait une plus grande étendue de cette belle Loire qui lui apporte là des nouvelles de tout le royaume qu’elle partage en deux moitiés affrontées et quasi-rivales. Si, au lieu d’aller l’asseoir dans une plaine morte et sombre et à deux lieues de là, François Iᵉʳ eût assis Chambord en retour de ce château et à la place où s’étendaient alors les parterres où Gaston mit son palais, jamais Versailles n’eût existé, Blois aurait été nécessairement la capitale de la France. Quatre Valois et Catherine de Médicis prodiguèrent leurs richesses dans le château de François Iᵉʳ à Blois ; mais qui ne devinerait combien la Couronne y fut prodigue, en admirant les puissantes murailles de refend, épine dorsale de ce château, où sont ménagés et de profondes alcôves, et des escaliers secrets, et des cabinets, qui enferment des salles aussi vastes que la salle du Conseil, celle des Gardes et des chambres royales où, de nos jours, se loge à l’aise une compagnie d’infanterie. 





Quand même le visiteur ne comprendrait pas tout d’abord que les merveilles du dedans correspondaient à celles du dehors, les vestiges du cabinet de Catherine de Médicis où Christophe allait être introduit, attesteraient suffisamment les élégances de l’Art qui a peuplé ces appartements de figurations animées, où les salamandres étincelaient dans les fleurs, où la Palette du seizième siècle décorait de ses plus brillantes peintures les plus sombres dégagements. Dans ce cabinet, l’observateur peut encore retrouver de nos jours les traces de ce goût de dorure que Catherine apporta d’Italie, car les princesses de sa maison aimaient, selon la charmante expression de l’auteur déjà cité, à plaquer dans les châteaux de la France l’or gagné dans le commerce par leurs ancêtres, et signaient
leurs richesses sur les murs des salles royales.
La reine-mère occupait au premier étage les appartements de la reine Claude de France, femme de François Iᵉʳ, où se voient encore les délicates sculptures des doubles C accompagnés des images de blancheur parfaite, de cygnes et de lis, ce qui signifiait : candidior candidis plus blanche que les plus blanches choses, la devise de cette reine dont le nom commençait comme celui de Catherine par un C et qui convenait aussi bien à la fille de Louis XII qu’à la mère des derniers Valois ; car aucun soupçon, malgré la violence des calomnies calvinistes, n’a terni la fidélité que Catherine de Médicis gardait à Henri II. Évidemment la reine-mère, chargée encore de deux enfants en bas âge (celui qui fut depuis le duc d’Alençon, et Marguerite, qui fut la femme d’Henri IV et que Charles IX appelait Margot), avait eu besoin de tout ce premier étage.
Le roi François II et la reine Marie Stuart occupaient au second étage les appartements royaux qui avaient été ceux de François Iᵉʳ, et qui furent ceux de Henri III. L’appartement royal, de même que celui pris par la reine-mère, est divisé dans toute la longueur du château, et à chaque étage, en deux parties, par ce fameux mur de refend d’environ quatre pieds d’épaisseur, et sur lequel s’appuient les murs énormes qui séparent les salles entre elles. Ainsi, au premier comme au second étage, les appartements offrent deux parties distinctes. La partie éclairée au midi sur la cour servait à la réception et aux affaires publiques, tandis que, pour combattre la chaleur, les appartements avaient été distribués dans la partie exposée au nord, et qui forme la superbe façade à balcons, à galeries, ayant vue sur la campagne du Vendômois, sur le perchoir aux Bretons et sur les fossés de la ville, la seule dont a parlé notre grand fabuliste, le bon La Fontaine.

Le château de François Iᵉʳ se trouvait alors terminé par une énorme tour commencée et qui devait servir à marquer l’angle colossal qu’aurait décrit le palais en tournant sur lui-même, et à laquelle Gaston plus tard ouvrit les flancs pour pouvoir y coudre son palais ; mais il n’acheva pas son œuvre, et la tour est restée en ruines. Ce donjon royal servait alors de prison ou d’oubliettes selon les traditions populaires. En parcourant aujourd’hui les salles de ce magnifique château, si précieuses et à l’art et à
l’histoire, quel poète ne sera pris de mille regrets ou affligé pour la France, en voyant les délicieuses arabesques de cabinet de Catherine blanchies à la chaux et presque perdues par les ordres du commandant de la caserne (cette royale demeure est une caserne), lors du choléra. La boiserie du cabinet de Catherine de Médicis, dont il sera question bientôt, est la dernière relique du riche mobilier accumulé par cinq rois artistes. En parcourant ce dédale de chambres, de salles, d’escaliers, de tours, on peut se dire avec une affreuse certitude : Ici Marie Stuart cajolait son mari pour le compte des Guise. Là les Guise insultèrent Catherine. Plus tard, à cette place, le second Balafré tomba sous les coups des vengeurs de la couronne. Un siècle auparavant, de cette fenêtre Louis XII faisait signe de venir au cardinal d’Amboise, son ami. De ce balcon, d’Épernon, le complice de Ravaillac,
reçut la reine Marie de Médicis, qui savait, dit-on, le régicide projeté, et le laissa consommer ! Dans la chapelle où se firent les fiançailles de Henri IV et de Marguerite de Valois, le seul reste du château des comtes de Blois, le régiment fabrique ses souliers. Ce merveilleux monument où revivent tant de styles, où se sont accomplies de si grandes choses, est dans un état de dégradation qui fait honte à la France. Quelle douleur pour ceux qui aiment les monuments de la vieille France, de savoir que bientôt il en sera de ces pierres éloquentes comme du coin de la rue de la Vieille-Pelleterie, elles n’existeront peut-être plus que dans ces pages ! "

Il faut comprendre Balzac lorsqu'il écrit cette dernière phrase dans "SUR CATHERINE DE MÉDICIS" (édition de 1828) le château est dans un mauvais état. Déjà Louis XVI ne s'y intéressait pas et avait décidé même de le vendre, mais il n'y avait pas d'acheteur, le bâtiment retrouva un nouvel usage: une caserne. Ensuite pendant la Révolution, les domaines royaux ont été pillés et détruits et Blois n'a pas échappé à ce destin.
Les symboles héraldiques sur les façades ont été endommagés et une partie du mobilier a été détruite. 
Heureusement en 1845, est prise la décision de procéder à une restauration complète du château de Blois.
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